Les Feuilletons
1
Fileurs de Pierre
Le 15 avril 2019, Notre-Dame brûlait. Le 08 novembre 2024, la cathédrale rouvrait ses portes. Durant cet intervalle, un bâtisseur se mit à l’ouvrage. Son chantier ? L’histoire de Notre-Dame, de sa genèse douloureuse à son achèvement grandiose.
2
Cardinal
Fileurs de Pierre ou les compagnons de Notre-Dame
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Ces images restent sous nos yeux.
Entre les tours de Notre-Dame, s’élevait un panache de fumée.
La cathédrale prenait feu.
Le coeur de Paris cessa de battre.
La foule des passants s’immobilisa.
Les yeux se remplirent de larmes.
Les chrétiens se signaient. L’humanité s’alarmait.
On ne pouvait ni parler ni agir. Que dire et que faire ?
L’espace d’un instant, une communion douloureuse reforma l’unité nationale. La France redevenait le centre du monde. Dans ce spectacle ahurissant reparaissaient des chevaliers d’un autre âge. Des cohortes de pompiers se lançaient à l’assaut du monument pour affronter la fournaise, au péril de leur vie. Un combat s’engagea. Qui, des hommes ou des flammes, détermineraient son issue ? En voyant s’affaisser la flèche, on crut voir disparaître l’église, ce trésor des siècles. Un miracle se produisit. Après trois heures de lutte, le brasier s’éteignit. Nos héros ressortaient du ventre incendié les bras chargés de reliques. La charpente avait brûlé, mais la demeure était sauve.
On contempla l’ouvrage dévasté, en mesurant la profondeur de ce vide que le ravage avait ouvert au sein de notre maison commune, comme en chacun de nous. Ce vide, qui le comblerait ? L’architecture pouvait être restaurée, on l’annonça, on le prophétisa, on l’affirma, c’était beaucoup.
C’était inespéré. Mais cela serait-il suffisant ? Un abîme d’une autre nature attendait d’être refermé. Pour y parvenir, il fallait s’y plonger, corps et âme. Ce jour-là, le 15 avril 2019, je me rendais à Argentière en compagnie de mon épouse. Nous allions retrouver sa marraine, la digne représentante d’une illustre lignée d’alpinistes chevronnés. Juste avant de sortir du train, j’écrivis ces mots dans un carnet – sans rien savoir de la catastrophe qui allait se produire à quelques centaines de kilomètres de là, moins d’une heure plus tard – ils me restent en mémoire. Comment les oublier ? Le feu prit si fort qu’il brûla la forêt.
À peine étais-je parvenu à destination que l’on me désigna un pan de roche carbonisé, au lointain. À cet endroit-là, me dit-on, se trouvait une station de téléphérique. Elle a brûlé l’an passé, dans un épouvantable incendie. Au même instant, une image apparaissait sur mon téléphone. Un ami pompier de Paris, présent sur les lieux, me montra la flèche embrasée. Je n’osais y croire. On alluma la télévision. La tragédie se déroulait en direct. Toutes les chaînes la relayaient.
Les jours se succédèrent, les mois passèrent. L’été survint. Une brise légère, charriant du large l’air de la mer avec elle, traversa la pièce où je me trouvai. Le visage défiguré de Notre-Dame reparut soudain devant moi. Une idée me traversa, à moins qu’elle ne jaillît des profondeurs où elle avait germé, au fil des heures.
Une joie m’envahit. Un frisson me fit tressaillir. Un vertige me saisit… tandis qu’une phrase énigmatique s’imposait à mon esprit. La Fatalité peut être le marchepied de la Providence. Je fus incapable alors d’en mesurer la portée véritable. L’évidence éclata. J’allais écrire un chef d’oeuvre à nul autre comparable. Une sorte de voix intérieure le murmurait à mes oreilles, une sorte de volonté toute-puissante désirait me le faire savoir en m’invitant à relever la gageure. Le poids du sujet, son aura universelle, m’impressionnaient. Serais-je à la hauteur ? Comment le savoir, sinon en s’abandonnant, afin d’être pleinement investi par ces forces que l’on me fournirait chemin faisant. Je repensais au jeune fondeur de cloches du film Andreï Roublev d’Andreï Tarkovsky que j’avais tant aimé en le visionnant pour la première fois. Le sort d’un peuple, la destinée d’une armée d’artisans reposaient entre ses mains… Il assura posséder un secret dont il était démuni – un secret transmis de maître à élève – pour rendre l’espoir à ceux qui l’avaient perdu, tout en prenant le risque de les anéantir, en cas d’échec.
Je partagerai son fardeau.
Je renouvellerai son exemple.
Victor Hugo avait fait de Notre-Dame le théâtre de son drame, il l’avait peuplée de figures inoubliables… Esmeralda, Claude Frollo, Quasimodo avaient enchanté des millions de lecteurs. Rivaliser de génie avec cette sommité de notre panthéon littéraire, en lui rendant hommage à travers une fresque originale, dont la reine des cathédrales serait le motif central, paraissait insensé. Mais j’avais dit oui. Il n’y fallait plus songer. On sait que le chantier titanesque qui vit s’élever de terre la dame de Pierre fut le plus long du Moyen Âge. 107 ans. L’expression est restée. En vérité, il dura davantage encore. Mais ce que l’on ignore – nul à ce jour ne les ont mises en évidence – ce sont les raisons qui poussèrent le roi Louis VII le Pieux à le parrainer, voire à l’ordonner. J’enquêtais. Qui cherche trouve. Nouveau vertige. Pour révéler la vérité, il suffisait d’étudier le contexte et l’évolution des cartes au cours de cette période si mouvementée qui va de l’an 1163 – à l’heure où débuta le chantier de Notre-Dame – à l’an 1259 – durant laquelle fut signé le traité de Paris tandis que s’achevait l’édifice. Durant l’intervalle, venait de se jouer la première Guerre de Cent Ans. Moins connue que la seconde pour des raisons obscures, ce conflit engagé entre les Capétiens et les Plantagenêts sert de cadre à l’épopée des bâtisseurs. On ne peut imaginer la profusion des prodiges auxquels elle donna naissance, la succession d’événements qui s’y déroulèrent. Maille par maille, une tapisserie somptueuse, faite de heurts, de sang et de lumière, se brodait sous mes yeux ahuris…
Cardinal
Lire la préface
Au même rang que Charlemagne à la barbe fleurie ou que Napoléon dans son habit vert de gris, Richelieu revêtu de son armure de connétable est une icône de l’Histoire. Bourreau pour les uns, génie politique pour les autres, il reste une incarnation de la France. L’on s’étonne, d’ailleurs, qu’il n’ait jamais tenu d’autre place, à l’écran, que celle d’un second rôle… et encore, n’était-ce pas, le plus souvent, pour qu’il soit tourné en dérision ? Voilà pourtant un être d’une présence envahissante, un modèle de rêve pour les peintres et les cinéastes, à côté duquel disparaissent les êtres et les choses. Et quelle personnalité que la sienne ! Elle n’est pas moins tourmentée que ne le fut son existence. Ainsi que Shakespeare ou que Balzac – pour ne citer qu’eux – Richelieu est une foule à lui seul. Gentilhomme à la vocation contrariée, prêtre par devoir autant que par opportunisme, le Cardinal est bien plus qu’un ambitieux rêvant de parvenir. Diplomate hors de pair, architecte visionnaire, habile courtisan, implacable stratège, notre auguste caméléon se révèlera un virtuose dans bien des domaines, dont l’art de nouer les intrigues les plus savantes, il est vrai, n’est pas le dernier. Cependant, voyez dans quel milieu il évolue et quels pièges il doit lui-même déjouer pour ne pas tomber dans ces trappes que l’on creuse incessamment sous ses pieds ! Sa vie est une lutte permanente : contre ses adversaires de tous bords, contre les arrêts du destin et ce corps qui le tyrannise à plaisir. De là, sans doute – de cette douleur qu’il supporte en secret – cette morgue apparente qui lui fera tant d’ennemis. Quoi qu’il en soit, ce stoïcien – on nous l’accordera – méritait de se voir offrir un emploi digne de ses capacités. Qui fallait-il mettre en lumière ? L’épéiste, le prélat ou le ministre d’état ? Parmi toutes ces différentes incarnations, celle d’un héros de roman s’imposa pourtant comme une évidence.
Pour ce faire, il fallait le prendre à l’heure de son envol, alors que, pensionnaire de l’Académie Pluvinel, il se forme au métier des armes et le quitter à la veille de son apothéose, quand ce général en chef trône face à l’immensité, l’épée au côté, sur la grève de la Rochelle. Quelle plus belle arche narrative pouvions lui trouver que celle-là, pour rendre hommage à sa persévérance comme à ce triomphe de la volonté sur les caprices du sort ? Ce récit, celui de son ascension, court de l’an 1605 à l’an 1627. Au cours de cette période qui le façonnera de fond en comble, nous verrons Richelieu passer par tous les transports. Dix fois, il se croira tiré de l’abîme où il sombra, pour être renvoyé dans l’obscurité. Nous avons imaginé qu’un amour partagé, un amour ardent pouvait seul l’avoir maintenu dans ses espérances avant de le hisser au faîte de sa puissance. On le sait, derrière tout grand homme se cache une mère, une épouse, une amante. Pourquoi notre Cardinal ferait-il exception à la règle ? Parce qu’il revêtit l’habit et qu’il prononça ses voeux ? Avant d’y être contraint, il avait eu le temps de tomber amoureux. La chose était alors de son âge et dans sa nature. Quant à la suite, que l’on nous permette de supposer qu’il ait pu connaître, au mépris des serments prononcés, un peu le bonheur sur terre, ne serait-ce qu’une nuit, avant de reprendre sa charge et de devoir supporter avec elle un poids supplémentaire jusqu’à la fin de ses jours. En nous mettant à la tâche nous n’avions qu’un désir, accomplir celui de Monsieur Erlanger, son plus illustre biographe, en faisant de son sujet d’étude, un sujet d’admiration autant que de méditation, tout en lui donnant vie, chair et mouvement.